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L’avenir en grand

Bellenger/IS/FFBB
Par Julien Guérineau - 12/04/2020
A 16 ans, Victor Wembanyama (2,18 m) est le plus grand espoir du basket français. Dans tous les sens du terme. Ses prestations à l’Euro U16 l’été dernier n’ont fait que nourrir fantasmes et attentes autour d’un joueur au profil unique, couvé par son club de Nanterre 92.

Alors que les différents championnats sont à l’arrêt pour lutter contre le COVID 19, la FFBB vous propose de découvrir quelques-uns des meilleurs prospects français. On termine aujourd’hui notre tour d'horizon avec le phénomène Victor Wembanyama, international U16 l’été dernier.

Quand on atteint 1,80 m sous la toise à 10 ans, passer inaperçu est compliqué… Quand six ans plus tard on culmine à 2,18 m et qu’on laisse l’Europe du basket pantois lors de sa première compétition internationale d’envergure, se cacher n’est plus au programme. Sa famille et le club de Nanterre 92 font pourtant tout pour protéger Victor Wembanyama d’une attention qui ne fera que croître dans les années à venir. Inutile de prendre des gants, le basket français n’a jamais élevé en son sein un potentiel comme celui de ce jeune homme de 16 ans. Le jeu des comparaisons est vain. Même en élargissant le spectre au basket mondial. Nombreux sont ceux qui évoqueront le cas Kristaps Porzingis. Le Letton de 2,21 m présente lui aussi une combinaison de taille, d’adresse et de mobilité totalement hors normes. "Mais ce n’est pas le meilleur exemple", glisse dans un sourire le principal intéressé. "Il y a des aspects offensifs qui sont absents de son jeu et que je voudrais atteindre. C’est difficile de trouver un joueur auquel s’identifier. Je me dis que c’est à moi de devenir le point de comparaison des autres." Une sortie qui pourrait passer pour de la prétention adolescente si elle n’était pas tout simplement le constat implacable d’une réalité incontournable : Victor Wembanyama est un modèle unique

Une organisation spéciale

Son développement requiert donc une mobilisation inédite pour son club. C’est une véritable cellule Wembanyama qui s’est mise en place pour organiser les semaines de la pépite, élève (avec un an d’avance) en première au lycée. "De par son potentiel, son profil, ses caractéristiques, on ne peut pas le traiter comme un espoir lambda. Il y a toute une organisation à mettre en place autour de son développement", admet aisément Pascal Donnadieu. Un entraîneur des pros qui a suivi avec attention l’évolution du joueur dans les catégories de jeunes. Lorsque celui-ci a quitté Le Chesnay Versailles pour les Hauts-de-Seine, c’est son frère, Frédéric, aujourd’hui General Manager, qui a dirigé Wembanyama lors de ses premiers entraînements en U11. C’est dans cette catégorie que Michael Allard, alors entraîneur à Nanterre, avait découvert celui qu’il avait pris pour un assistant coach avant de le voir s’aligner sur le parquet. Avec l’accord de ses parents, ce gabarit exceptionnel avait rejoint Nanterre pour y poursuivre sa formation. U11, U13, U15, U18, espoirs il continue de grandir, au propre comme au figuré, et est même rentré en jeu en EuroCup, alors qu’il n’avait pas encore fêté son 16e anniversaire.



Concilier ambition et patience, développement et efficacité est un exercice délicat pour le club et pour tous les entraîneurs mobilisés autour du phénomène, qui évolue dans un cocon familier et protecteur : "Mon frère Frédéric a un lien très fort avec lui et une proximité avec ses parents", explique Pascal Donnadieu. "Il fait régulièrement des points avec eux pour gérer toutes les sollicitations qui l’entourent. Vincent Dziagwa, notre préparateur physique, s’en occupe tout le temps. Il a des entraînements personnalisés avec Michael Bur, coach des espoirs, Jessy Valet coach des U18 et Philippe Da Silva, assistant coach avec les pros." Avec l’élimination en Coupe d’Europe, Wembanyama devrait commencer à participer à quelques entraînements avec le groupe de JeepElite même si plusieurs obstacles demeurent. "La priorité numéro un c’est l’école", prévient ainsi Michael Bur. "Ensuite l’objectif c’est de le développer physiquement. En fonction de ses cours on place trois séances de musculation par semaine." En dépit de sa taille, le joueur demeure un adolescent encore frêle. Pas question de risquer une blessure en le jetant trop tôt en pâtures à des hommes aguerris aux combats dans la raquette. "Il est forcément hors normes. Ce qui rend les choses complexes c’est sa technicité avec les jeunes et son physique lorsqu’il évolue avec les professionnels", note Pascal Donnadieu.

Un profil unique

En 2018/19, Wembanyama, né en 2004 et donc U15, a évolué avec les U18 du club qui ont atteint le Final Four. Cette saison, s’il a participé à deux rencontres U18 lors de la première phase, c’est avec les espoirs qu’il s’exprime. Face à des éléments parfois plus âgés de 5 ans ! Il y bénéficie de 20 minutes de temps de jeu par match pour 10,2 points, 4,5 rebonds et 3,3 contres de moyenne. Meilleur contreur du championnat il a également tenté sa chance à 27 reprises à trois-points lors des 11 premières rencontres, un rappel de son profil totalement inédit. "C’est un phénomène du fait de sa taille, de son envergure et de sa technique", relève Pascal Donnadieu. "Je n’ai jamais vu un joueur avec un profil physique pareil avoir des mains et une dextérité aussi au-dessus de la moyenne. Il a cette faculté à s’écarter du panier et il ne faut pas le faire jouer contre nature. Il faut trouver le bon alliage entre le fait qu’il se retrouve près du panier offensivement comme défensivement, sans lui interdire d’aller jouer à l’extérieur."

L’été dernier, à Udine en Italie, c’est sur le plan défensif que Wembanyama avait marqué l’Euro U16 de son empreinte. La France avait atteint la finale de la compétition dans le sillage de son sémaphore, élu dans le cinq idéal. 7 contres face à la Serbie, 21 rebonds et 8 contres face à la Croatie, sa vitesse de déplacement, son agilité et son timing constituaient une combinaison mortelle pour les adversaires des Bleuets. Un impact de ce côté du terrain loin d’être attendu par le staff comme par le joueur lui-même. "J’ai toujours fait des contres parce que j’étais grand et coordonnée", analyse-t-il. "Mais jamais par la lecture du jeu comme avec l’Equipe de France. C’est devenu un plaisir." Un plaisir résultat d’une prise de conscience, alors que ses premiers pas avec les U16, lors du tournoi de Bellegarde quatre mois avant l’Euro, avaient été plus que compliqués. Au point que Bernard Faure envisageait un instant de ne pas emmener son géant en Italie. "C’est vrai que cette  idée  m’a  traversé l’esprit une seconde", rappelait-il à son retour d’Udine. "Il était là pour apporter sa taille et on le voyait vraiment souffrir  face  à  des  adversaires  qui  avaient  un  physique  complètement  différent. À partir de ce moment, on a essayé de le mettre dans des  conditions  optimales pour avancer. Il est revenu au mois de juin avec une toute autre approche qui montre que c’est un garçon intelligent, qui sait s’adapter. Au fur et à mesure de la  préparation, vu ses progrès il n’y avait plus de questions à se poser, sa présence était une évidence.  Maintenant avec quel statut ? On était tous loin de penser qu’il allait nous changer l’équipe et  bousculer la hiérarchie comme il l’a fait."

Liberté et cadrage

Une performance qui ne fait qu’amplifier les attentes pour un joueur déjà courtisé par le FC Barcelone (il avait participé à la Mini Copa Endesa en février 2018 sous les couleurs catalanes), mis en avant sur le géant des médias américains ESPN et suivi par les scouts NBA en prévision de la draft. Et pourtant, avec un naturel désarmant, Victor Wembanyama estime que ceux qui l’ont découvert l’été dernier "n’ont vu que 50% de mon jeu". Une analyse partagée par Michael Bur. "A l’Euro U16 j’ai beaucoup aimé la dimension dissuasion. On a découvert un Victor avec de la gnaque, de l’énergie, de l’intensité. Mais offensivement on n’a pas vu son potentiel." Une perspective effrayante sur laquelle il travaille avec application, continuant de développer des savoir-faire habituellement étrangers à des joueurs de sa taille. "On ne m’a jamais bridé", précise-t-il. "J’ai eu la chance de toujours avoir des entraîneurs bienveillants qui ne me fermaient aucune voie." Celle qui doit l’amener à devenir un joueur qui n’existe pas. "Il peut réaliser des choses dignes d’un poste 1 ou 2. Ça me sidère", souffle Pascal Donnadieu. "Il réalise des prouesses techniques avec une facilité... Après on essaye de temps en temps de le freiner parce qu’il s’enflamme un peu." "Victor tente des passes venues d’un autre monde parfois", sourit Michael Bur. "Des trucs que personne n’a vu. Parfois ça passe, parfois non. C’est un joueur à part à qui il faut laisser une certaine liberté. Il faut jongler entre la liberté et le cadrage."



En dépit de ses interminables segments, Victor Wembanyama possède une aisance balle en main, une vista et une stabilité sur son tir extérieur que ses formateurs ne peuvent ignorer. "Ce n’est pas un intérieur, ce n’est pas un extérieur", avance Michael Bur. "Avec Victor tout va plus vite. Il faut constamment s’adapter, trouver des exercices. C’est une éponge et il faut se creuser la tête. Il fonctionne à base de challenges. Quand on lui en fixe un et qu’il l’atteint, il faut passer à autre chose." Au-delà d’un physique à renforcer pour tenir le choc chez les professionnels, le Nanterrien doit également se concentrer sur son niveau d’intensité et d’investissement. Une détermination qui lui avait permis de briller à l’Euro U16 et qu’il doit afficher quotidiennement à Nanterre. "Il demande à ce que l’on soit plus exigeant. Et quand on le pique au vif, il réagit", positive Michael Bur. "Ce qui est impressionnant c’est que Victor adore le basket. Pour lui c’est un plaisir avant tout. Il a toujours la banane quand il vient aux entraînements. Mais il sait se faire mal, demande des conseils et veut toujours en faire plus."

Les Jeux dès 2024 ?

Autour de lui, tout un club est mobilisé. Le Palais des Sports Maurice Thorez lui est ouvert quand son emploi du temps le permet, le secteur médical est concerné pour éviter les blessures et une attention toute particulière est portée à la nutrition. Une individualisation du suivi qui pourrait susciter quelques tensions auprès des autres pensionnaires du centre de formation. "Je suis toujours dans la communication et l’explication", désamorce Michael Bur. "Aujourd’hui Victor a prouvé des choses, lors de l’Euro U16 notamment. Mais si je dois le suspendre pour l’école je le ferai. Il n’y a pas de jalousie à Nanterre. Notre cri c’est Nanterre tous des frères. Le club se mobilise et c’est normal. Il le mérite. C’est une bonne personne au-delà de son talent. Les autres joueurs le comprennent d’autant plus que certains ont été ses coéquipiers depuis U11 ou U13. Et ils réalisent que si nous sommes par exemple invités au tournoi juniors de l’Euroleague, c’est grâce à lui."

Du 7 au 9 février, les U18 de Nanterre étaient à Kaunas en compagnie du Zalgiris, de la Joventut Badalone ou du Fenerbahçe Istanbul. Une nouvelle occasion pour les scouts d’évaluer le potentiel d’un joueur qui suscite convoitises et curiosités. Mais qui reste pour le moment à l’écart de toute forme d’agitation : "On me protège et ça me va très bien. C’est ce que je préfère", sourit-il. "Nanterre dit non à beaucoup de choses… à tout en fait. En temps voulu, et avec les personnes que l’on souhaite, on acceptera." En attendant, Wembanyama se projette vers sa fin de saison et la Coupe du Monde U17 qui se déroulera à Sofia du 4 au 12 juillet. Avec l’envie de poursuivre son entreprise de démolition débutée en U16 : "J’avais l’envie de dominer l’adversaire. Et je suis toujours comme ça aujourd’hui."

Un état d’esprit conquérant qui doit le mener loin. Très loin. Car un tel potentiel suscite bien évidemment des attentes immenses. Le joueur en a conscience et semble gérer plutôt bien l’étiquette de licorne qui lui colle désormais à la peau. "Il est resté le même et ses parents lui gardent les pieds sur terre", estime Pascal Donnadieu. "Au-delà de son potentiel immense, Victor a le plaisir de jouer. Et pour un garçon de 16 ans c’est capital de garder cette joie, cet enthousiasme." Si Nanterre a servi de tremplin à des internationaux comme Edwin Jackson, Adrien Moerman ou Evan Fournier par le passé, la réussite d’un enfant du club aurait une saveur encore plus particulière. "Son avenir ? Une grande carrière NBA bien évidemment", se lance Donnadieu qui n’oublie pas sa casquette d’assistant coach de l’équipe nationale. "S’il pouvait être le leader de l’Equipe de France à moyen ou long terme… Paris 2024 ? On ne peut rien s’interdire. Même s’il est jeune et que ça paraît fou…" Avec Victor Wembanyama tout est forcément géant.