“Je suis leur coach, pas une femme"
On évoque souvent un besoin de coacher pour les entraîneurs en attente d’un poste. Était-ce votre cas ?
Les parquets me manquaient. Au début, j’ai apprécié être au repos. J’en avais besoin. Nous avions fait trois mois de campagne en 2021 avec l’Équipe de France. Deux compétitions internationales. Dans une situation très particulière avec l’environnement Covid. Très anxiogène. Ça laisse des traces. L’absence de club ne me posait donc pas de problème. J’avais envie de profiter de tout ce dont on ne profite pas lorsqu’on enchaîne les clubs et l’équipe nationale.
Avez-vous voyagé pour aller à la rencontre d’autres entraîneurs, d’autres méthodes ?
Non, mon souhait c’était de profiter du lieu où j’habite, à Carqueiranne dans le Var, de mes amis, de ma famille. De faire des choses simples, aussi simples que d’aller voir un concert. Je ne me suis pas déplacée mais en revanche j’ai regardé beaucoup de basket.
Des deux sexes ?
Tout à fait. Et je l’ai toujours fait, toujours regardé ce qui se faisait chez les garçons pour voir ce que nous pouvions aller chercher dans un basket qui me semblait plus intense. Grappiller sur le rythme, la mobilité des appuis, la puissance des passes.
À quel moment votre réflexion a-t-elle évolué vers la possibilité de travailler dans le milieu masculin ?
Mon premier contact a été avec la Fédération canadienne, en fin d’année 2021. Nous étions deux candidats pour l’équipe nationale féminine et la Fédération a choisi Victor Lapeña. J’avais ce désir très fort de retourner à l’étranger parce que j’avais beaucoup aimé mon expérience au Fenerbahçe. Cela m’avait beaucoup apporté dans ma carrière et dans mon évolution d’entraîneur. Mon agent, Miloud Dahine, est un agent de garçons. On se connaît depuis 30 ans et l’époque où je jouais à Mirande. Je l’ai renseigné sur les clubs qui m’intéressaient.
J’ai eu des contacts très avancés avec le Galatasaray. J’avais même eu des joueuses turques au téléphone. Ça ne s’est pas fait. Dans le même temps j’ai beaucoup échangé avec des entraîneurs sur la possibilité de partir dans le milieu masculin. Cela a fait son chemin dans mon esprit. J’apprécie les nouveaux challenges, les nouvelles histoires. Sortir de ma zone de confort. En octobre dernier j’ai indiqué à mon agent que j’étais prête. Un peu plus d’un mois plus tard, j’étais à Tours.
Comment s’est passée votre arrivée ?
Je n’ai pas eu d’entretien avec le Président. Le 6 décembre, j’étais à Monaco pour un match face à l’ASVEL. Mon agent m’a parlé du fait que les choses allaient peut-être bouger à Tours. Le dimanche qui a suivi il me confirmait que les contacts étaient bons. Mardi 13 décembre on signait. Mercredi, je mettais mes affaires dans ma voiture. Jeudi premier entraînement. Vendredi, premier match. C’était donc une situation d’urgence.
Aviez-vous vu un match de Tours avant votre premier entraînement ?
Oui, j’avais regardé 3-4 matches et je m’étais rendu à des rencontres du HTV auparavant. Dès que mon agent m’avait parlé du club, j’ai fait mes recherches. Pour connaître les joueurs, leurs profils. Au premier entraînement je leur ai proposé de changer les choses pour lesquelles nous n’avions pas besoin de travailler. La dureté défensive, la présence au rebond, le rythme en attaque.
Peut-on simplement dire que les joueurs sont indifférents au fait d’être entraînés par une femme ?
Ils n’en ont rien à faire. Tout de suite ça a été "coach". J’ai la chance d’avoir des hommes bien autour de moi. Humainement top. Au premier match, nous gagnons en prolongation contre Berck. J’arrive dans les vestiaires. Le Président a tenu à dire un mot. Puis j’ai parlé. Et quand j’ai fini les joueurs m’ont tous vidé leur bouteille d’eau sur la tête. Je me suis dit qu’ils avaient bien compris que j’étais leur coach et pas une femme.
Vos échanges fréquents avec Vincent Collet vous ont-ils aidé dans votre choix ?
Il n’y a pas de secret. On communique. On se voit dans l’année. Et bien évidemment je lui en ai parlé. Je voulais savoir ce qu’il pensait de cette possibilité de basculer sur les masculins. Avant de prendre l’équipe en main, j’en ai également discuté avec lui.
Après quelques semaines à la tête de l’équipe, quelles sont les grandes différences avec ce que vous avez pu connaître auparavant dans votre carrière ?
Au niveau basket l’engagement, l’intensité, le rythme, la vitesse, la finition au cercle, la réduction des espaces et bien sûr la verticalité font que c’est quand même très différent. Mais le management également. Avec les garçons on peut parler de façon plus directe.
Prenez-vous moins de pincettes ?
Pas moins de pincettes. Dire les choses. C’est toujours la bonne solution. Mais la façon dont la personne prend les choses qui sont dites est différente. J’ai vu les joueurs en entretien et j’ai beaucoup écouté. Pour qu’ils me parlent d’eux et qu’ils me disent ce qu’ils attendaient de moi. Cette question les a beaucoup surpris. Je suis dans l’échange et la communication et cette jeune génération en a besoin. Des entretiens ont duré une heure. Alors que je pensais que les filles étaient plus bavardes !
Sont-ils réceptifs à cette écoute peut être différente de leurs expériences passées ?
Tout à fait. J’ai toujours essayé d’avoir de la bienveillance et je ne vais pas changer. Ils apprécient. Je ne veux pas de lien de subordination mais un lien d’adhésion. Cela ne peut pas fonctionner autrement.
À quel point avez-vous dû adapter vos méthodes d’entraînement ?
Notre métier n’est qu’adaptation. Sur les exercices, je leur avais demandé de l’intensité et de l’engagement. Et je dois même les freiner. Un garçon face à un autre, ils sont toujours dans le duel. J’ai célébré avec eux le premier dunk de ma carrière en arrêtant l’entraînement… pour qu’ils me laissent apprécier. C’était une boutade. Ensuite il faut une exigence tactique plus importante. J’ai eu la chance d’avoir l’Équipe de France. J’ai eu la chance d’avoir Bourges, Fenerbahçe. Donc un niveau de connaissance du basket très important. Ce n’est pas manquer de respect à mes joueurs en Nationale 1. On doit évoluer d’un point de vue tactique. Et c’est bien parce que l’équipe est à l’écoute.
Tours a un passé et veut se construire un futur. Vous inscrivez-vous dans la durée dans le club ?
Je suis sous contrat pour un an et demi. L’ambition c’est déjà d’atteindre le groupe B et ensuite les playoffs si affinités. Le club a des structures à l’égal des clubs de Ligue Féminine. Si on excepte le Prado, je suis dans les mêmes conditions qu’à Bourges. Ce n’est pas rien. Tours est ambitieux. Il a 280 partenaires, un projet de remonter en Pro B rapidement. C’est tout ça qui m’a attiré.